OLJ / Par Nadim A. DAHER, le 17 février 2021 à 00h00
Le ministère des Finances a récemment présenté son avant-projet de budget 2021 au Conseil des ministres avec près de quatre mois de retard. Et surtout avec de grandes chances que ce texte soit mort-né, entre un gouvernement démissionnaire et un autre qui ne voit toujours pas le jour, mais aussi face à une vague de contestations de tous bords – allant des syndicats des fonctionnaires jusqu’aux instances patronales en passant par les représentants des professions libérales.
Pratiques nuisibles
Contrairement aux projets de budget précédents, celui de 2021, tel qu’il circule sur les réseaux sociaux, ne comporte pas de données macroéconomiques habituellement estimées dans une loi de finances tel que le produit intérieur brut (PIB) ou le taux d’inflation – sans doute au prétexte que cela figurera dans une mouture ultérieure. En revanche, ce projet de budget s’inscrit dans une continuité de pratiques nuisibles, telles que l’octroi de réductions sur les pénalités et l’amnistie partielle des redressements fiscaux en litige auprès de l’administration fiscale et des commissions de contestation (articles 19 à 22). L’argument avancé par les auteurs de ce projet de budget, qui ressemble à celui de leurs prédécesseurs, est d’assurer des revenus au Trésor en incitant les contribuables réfractaires à payer leurs arriérés d’impôts motivés par une réduction des pénalités de retard. Or l’effet contraire se produit à chaque fois, puisqu’un grand nombre de contribuables continue ses infractions et ne paye pas ses impôts étant certains que la loi de finances ou les décisions du ministre des Finances (toujours reconduites) viendront réduire les pénalités de 90 % à 100 %. Pendant ce temps, le bon contribuable payant ses impôts à temps comme la loi l’exige demeure le dindon de la farce d’une république en faillite.
Mais le plus étonnant dans ce projet de budget 2021, c’est la série de mesures visant à encourager l’investissement et l’entrepreneuriat à travers des exemptions fiscales sur plusieurs années comme si le pays était en pleine croissance économique et les investisseurs étrangers se bousculaient à nos portes… Les articles 25 et 26, par exemple, accordent pour 3 ans une exemption de 100 % sur l’impôt sur les bénéfices pour les start-up et de 75 % pour toute société industrielle ou touristique (ayant une main-d’œuvre libanaise à 80 %) créée après la parution de la loi de budget 2021. Ou encore, selon l’article 27, une exemption totale de l’impôt sur les bénéfices pour 10 ans pour toute société industrielle ou commerciale créée après la publication de ce budget, employant au moins 50 Libanais et qui exercerait son activité dans une des zones économiques qui seraient définies ultérieurement par le gouvernement pour le développement des régions. Cependant, cette exemption existe déjà à l’article 5 bis de la loi de l’impôt sur le revenu de 1959 et dans la loi 360/2001.
Ces mesures auraient dû être mises en place il y a bien longtemps ou du moins auraient dû faire partie d’un plan économique global de relance qui aurait accompagné un plan de réformes et de redressement tant attendu et réclamé depuis des années par les acteurs économiques et la communauté internationale.
Aujourd’hui, il est trop tard. Un grand nombre de start-up libanaises ont déménagé leur siège à l’étranger, notamment à Abou Dhabi – comme Anghami qui a récemment établi son siège et son centre de R&D dans le pôle technologique Hub71, pour fuir les contraintes imposées par la crise économique libanaise et les restrictions bancaires. Les investisseurs étrangers, autrefois attirés par la main-d’œuvre qualifiée et la créativité inégalable de la jeunesse libanaise, se détournent désormais du Liban car ils recherchent d’abord une stabilité réglementaire et fiscale, une justice indépendante et efficace, une infrastructure minimale et un secteur bancaire fiable.
Arrêter de tourner en rond
Malheureusement, ce que le Liban offre désormais, c’est une corruption tentaculaire alimentée par une classe politique de kleptocrates vivant dans le déni alors que tout s’écroule autour d’eux. L’inclusion de ces mesures dans ce projet de budget montre bien que la classe politique au pouvoir ne sait plus par où commencer. Elle joue donc à l’apprenti chimiste qui tantôt essaye de mettre au point un plan de redressement fourre-tout mélangeant mesures économiques sectorielles et projets d’infrastructure saupoudrés de timides réformes administratives jamais mises en application ; et tantôt fait passer des mesures inadaptées et inefficientes dans des projets de loi de budget. Tout porte à croire que les mesures fiscales et économiques mises en place ici et là dans des lois de budget ou dans des plans économiques bénéficient aux secteurs proches du cartel politico-économique au pouvoir depuis des années sans vision stratégique visant à remettre le Liban sur l’échiquier régional. Et ce alors que le Liban se trouve face à des pays comme les Émirats arabes unis ou l’Arabie saoudite, qui œuvrent à rendre leurs économies moins dépendantes du pétrole et plus compétitives à l’échelle mondiale dans les domaines des nouvelles technologies et de l’énergie renouvelable.
Il est grand temps d’arrêter de tourner en rond et de rattraper le temps perdu. Les solutions sont bien connues : réduire drastiquement le gaspillage dans la fonction publique en éradiquant le clientélisme au profit de la méritocratie et augmenter les revenus de l’État en arrêtant la contrebande et l’économie parallèle pour rétablir l’équilibre budgétaire. Ces mesures doivent être accompagnées de réformes systémiques et administratives pour activer le contrôle des comptes publics et la mise en place du Partenariat public-privé (PPP) qui serait le meilleur moyen d’optimiser la rentabilité des actifs de l’État. Parallèlement, il est nécessaire de restructurer la dette publique et le secteur bancaire pour relancer les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et les créanciers étrangers afin d’obtenir le financement nécessaire à la mise en place d’un plan de relance économique et le filet social pour les plus démunis qui devrait également comprendre un plan d’assurance-vieillesse. Les forces vives du pays et de la diaspora n’attendent que ce signal pour retrouver la confiance et investir de nouveau au Liban.
Par Nadim A. DAHER
Associé gérant du cabinet Daher & Partners, Trésorier du Rassemblement des Dirigeants et Chefs d’entreprise Libanais (RDCL) et Membre du conseil de l’Association Libanaise pour les Droits et l’Information des Contribuables (ALDIC).