Au Liban, il est bien loin le temps où le législateur se souciait de la qualité des lois et de leur impact réel sur la société et l’économie de la nation. Les lois ne bénéficient plus aujourd’hui des filtres nécessaires que sont les concertations, les consultations et les études d’impact préalables. Sur le plan fiscal par exemple, chaque nouvelle règlementation renferme son lot des surprises et d’inégalités. 2017 s’était clôturée avec un train de nouvelles impositions à la charge de la catégorie de citoyens qui contribuent le plus, ceux du secteur privé, au profit de celle qui travaille le moins (malgré des exceptions certes), à savoir l’administration publique. La mouture du projet de Budget 2018 adoptée par le Conseil des ministres contient pour sa part un «Cavalier Budgétaire» de taille: la régularisation des infractions fiscales commises. Plus pratiquement, l’amnistie à un coût dérisoire de tous les contrevenants et fraudeurs; notamment ceux qui n’ont jamais déclaré ou payé d’impôts à ce jour. Une façon de dire à ceux qui l’ont fait, vous n’êtes que des «pis-aller». C’est ce qu’on appelle, en gargot philosophique une inégalité fiscale horizontale. L’équité horizontale étant a contrario le principe selon lequel toutes les personnes qui se trouvent dans la même situation se doivent d’être traitées de la même manière avec une répartition équitable de la charge fiscale entre eux. L’impôt sera payé par tous, riches et pauvres, proportionnellement selon la capacité contributive de chacun dans le cadre d’un processus de redistribution des richesses. C’est le principe d’égalité devant les charges publiques consacré par la Constitution libanaise. Or, force est de constater que ce principe n’a jamais été réellement observé et que la fraude fiscale impunie a créé pendant de longues années une distorsion entre les agents économiques. Les plus habiles ont été récompensés au détriment de ceux qui s’acquittaient régulièrement de leurs obligations fiscales. Cette situation a engendré en outre un manque de recettes que l’Etat a dû compenser en surchargeant les autres contribuables qui ne reçoivent, au demeurant, aucune contrepartie au niveau de l’amélioration de leurs conditions de vie ou de leur devenir. Ce qui dénature en somme la raison même de l’impôt et son emploi ! Car l’impôt, dit-on, est intimement lié à la mission de l’état et au fonctionnement de son économie dans le cadre du système démocratique. Système qui, de nos jours, est en régression constante au Liban du fait que l’impôt échappe totalement au contrôle des contribuables. Certains payent d’autres pas et ceux qui payent ne reçoivent rien ou peu. Les inégalités se creusent et l’impôt devient un outil d’oppression au lieu d’être au service de la bonne gouvernance.
L’équité se trouve donc au cœur de la fiscalité. L’ignorer, c’est prendre le risque de développer les injustices qui mènent inexorablement à l’inefficacité sur les deux plans économique et social. La privilégier par une augmentation constante des prélèvements obligatoires sans tenir compte du seuil de tolérance au niveau de l’investissement et de la croissance peut aboutir à un résultat inverse. La courbe de Laffer (du nom de l’économiste américain Arthur Laffer) montre bien qu’au-delà d’un certain seuil de prélèvement fiscal, plus la pression fiscale augmente, plus les recettes fiscales diminuent, notamment en raison de l’effet désincitatif sur l’offre de travail. Elle est résumée par la célèbre maxime «trop d’impôt tue l’impôt».
Entre, d’une part, la conception libérale et son égalité de valeur, qui estime que les impôts payés doivent correspondre strictement aux services reçus, et d’autre part la conception socialiste distributive et collectiviste qui décrit la récompense de l’effort et annihile l’esprit d’initiative, un juste milieu peut néanmoins être trouvé. Ça ne pourrait être le Keynésianisme vieillissant, obsolète et largement réfuté qui a échoué dans sa tentative de vouloir réguler efficacement l’économie. La solution ne peut donc venir que du consentement volontaire et libre à l’impôt que consacrerait un nouveau contrat social respectant les équilibres et les différences tout en assurant l’égalité des chances et la vie décente. Le paiement de l’impôt serait perçu comme une fatalité qu’il convient d’acquitter de plein gré sans discrimination et sous réserve que les recettes fiscales soient utilisées à bon escient. Un contrat basé sur une vision économique globale dirigée dans le sens de l’incitation au travail et non à l’assistanat, de l’investissement productif et non de l’épargne frileuse, de la compétitivité concurrentielle et non des monopoles privatifs et enfin du développement durable et équilibré et non des aménagements temporels.
Utopique diriez-vous ? Peut-être ! Mais pourquoi ne pas imaginer ensemble – ne serait-ce que pour les besoins de la comparaison – le Liban d’aujourd’hui sous forme d’un ensemble résidentiel reparti sur plusieurs blocs aux superficies inégales et habité par des copropriétaires aux moyens et situations qui différent.
Cet ensemble très prisé au départ mais dont personne ne désirait s’occuper est géré depuis des années par un comité de copropriétaires sans scrupules et aux pratiques douteuses qui a utilisé les maigres ressources communes pour réaliser peu de choses et conforter les intérêts de ses membres. Les propriétaires fortunés des grandes surfaces y trouvaient leur compte car leurs parts contributives au prorata le plus élevé n’augmentaient jamais. Tandis que les moins nantis s’arrangeaient pour obtenir les faveurs et la bienveillance du comité qui leur assurait protection et services minimums. Les réunions des assemblées s’espaçaient d’années en années et les mandats furent prorogés sans contrôle ni remise en question. Si bien que l’ensemble résidentiel tomba en désuétude et les dettes vis-à-vis des tiers (fournisseurs, organismes étatiques et municipalités) s’amoncelèrent. Les personnes encore aisées et capables d’aider menacèrent de quitter sous l’effet des saisies tandis que les plus démunis sans véritable choix incitèrent leurs enfants à s’y éloigner. Nonobstant cet état d’effritement, une idée germa et consista à réunir les copropriétaires pour discuter du devenir commun, récupérer les prérogatives et changer le comité, avant de restructurer les dettes et d’en partager la charge selon les capacités de chacun. Le tout … dans le strict respect des règlements qui n’ont jamais été suivis. Comme quoi, «le pire n’est jamais certain».
Karim Daher