Cher concitoyen contribuable: Sais-tu que la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, établie en France il y a plus de deux siècles avec l’avènement de la République, avait garanti entre autres droits à « son peuple » celui de constater, par lui–même ou par ses représentants, la nécessité de la contribution publique par le biais des impôts (d’où d’ailleurs l’origine étymologique du nom dont tu es affublé) pour les consentir librement en tant « qu’honorable obligation » de participer aux charges d’intérêt général de la nation, d’en suivre l’emploi et de demander des comptes aux gouvernants ? Tandis que nous libanais du troisième millénaire, adeptes du changement, friands de futurisme et partisans de la critique non constructive, nous prétendons tout savoir et passons à côté de l’essentiel…
Sais-tu aussi cher concitoyen contribuable que ta Constitution, pour l’amendement de laquelle le Liban a perdu plus de cent-cinquante mille de ses fils, impose une autorisation parlementaire annuelle préalable pour la perception de toute recette et la réalisation de toute dépense ? Quant bien même nous nous permettons libanais de toutes souches et de toutes tendances, de laisser passer les années et se succéder les gouvernements et les législatures, sans broncher aux violations graves de ces règles ni demander des comptes à ceux qui gèrent notre quotidien et présagent de l’avenir de nos enfants et petits-enfants…
Sais-tu d’ailleurs au même titre, que la dette publique cumulée est la tienne solidaire et que la part indivis qui te revient à ce jour avoisine les quinze mille dollars américains (à laquelle il faut rajouter le cas échéant celle du conjoint et des enfants) ? Dette pour le service de laquelle tu payes d’ailleurs des intérêts annuels à des bailleurs de fonds pour la plupart locaux et très souvent très très haut placés et ce, au détriment des dotations d’investissement qui sont seules créatrices d’emploi et stimulatrices de croissance….
Sais-tu d’autre part que l’asphaltage du petit bout de chemin menant à ta résidence ou le raccordement d’eau qui t’ont été offerts par ton député local, en contre partie de ta voix et de ta conscience, ont été payés pendant des années grâce aux dotations budgétaires votées par ce mêmes député et financées par tes impôts ou des emprunts sur les emprunts ayant menés a cette dette publique abyssale ? Et comment peut-il en être autrement, puisque le Liban demeure encore un des seuls pays au monde où le législateur est élu non pour légiférer mais pour servir et se servir…
Sais-tu de même que le seul fait d’acquérir un foyer pour y vivre en harmonie, te rend redevable de deux impôts au moins: l’un foncier direct payable à l’Etat et l’autre indirect municipal perçu au profit de ta collectivité territoriale ? Or, même si tu le sais, tu ne sais sans doute pas que l’impôt foncier annuel calculé par l’Etat ne t’est notifiée que cinq ans plus tard du fait des carences administratives … avec de surcroit des amendes et pénalités de retard à ta charge du fait desdites carences dont tu n’es ni responsable ni redevable ? Ou bien que certaines municipalités te font payer d’autre part une taxe additionnelle au titre de trottoirs et égouts inexistants et même pas projetés ou en devenir ?
Sais-tu en outre, que depuis 2008 et la nouvelle loi sur les procédures fiscales, tu es doté d’une arme anti-chantage et anti-arbitraire administratifs implacable, qui te permet notamment de demander à tout agent du fisc de te notifier au préalable de sa visite ou de te produire son ordre de mission dument signé par sa plus haute autorité hiérarchique ?
Sais-tu subsidiairement et d’un point de vue purement analytique, que pour favoriser un développement économique durable il convient en tout premier lieu de réduire les inégalités sociales criantes ? Car si l’équité absolue est bien un idéal utopique, l’inéquité grave est pour sa part source d’inefficacité économique et de malaise social.
Sais-tu enfin que la question majeure que les décideurs devraient se poser aujourd’hui est celle de savoir comment améliorer le quotidien et le niveau de vie de leurs administrés et par quel moyen afin de renforcer la confiance et faire participer ceux-ci à l’effort de production et de consommation… et non comment trouver des moyens financiers pour renflouer les caisses de l’Etat, combler les déficits et faire face aux charges publiques toujours croissantes ? Car il s’agit là de toute évidence de deux visions discordantes: l’une optimiste, productive, citoyenne et qui s’inscrit dans la durée; l’autre défaitiste, terne et sans ambitions.
Si tu ne le savais pas encore cher concitoyen contribuable eh bien maintenant tu en sais assez pour demander d’en savoir un peu plus !
Karim Daher