La Loi No.189 du 16/10/2020 (ci-après), publiée au Journal Officiel No 41 du 22/10/2020, a modifié et remplacé la Loi No. 154 du 27/12/1999 (Loi sur l’enrichissement illicite) et ses amendements et ce, afin de renforcer les moyens de lutte contre la corruption et de pouvoir répondre aux principes consacrés par la Convention des Nations unies pour la lutte contre la corruption (UNCAC), dont le Liban est membre adhérant depuis 2009 en vertu de la loi No 33 du 16/10/2008.
En effet, l’enrichissement illicite qui est désormais érigé au rang d’infraction à part entière et non plus de présomption, a été mieux défini par cette nouvelle loi (article 10) et vise désormais la hausse substantielle et injustifiée (tant au Liban qu’a l’étranger) d’un patrimoine détenu par une personne liée de près ou de loin à la fonction publique en comparaison avec ses ressources effectives déclarées. La personne concernée ainsi que son conjoint et ses enfants mineurs sont tenus pour une seule et même personne.
Plusieurs éléments décisifs ont été introduits par cette Loi, en commençant par la définition de l’infraction, l’élargissement des catégories de personnes visées ou encore les conditions permettant de justifier une action en justice. Il est à noter a cet égard que cette nouvelle Loi n’est pas rétroactive, mais ne prévoit pas non plus de prescription.
Cette Loi apporte une innovation par rapport à la législation antérieure en ciblant désormais toutes les personnes qui sont amenées à gérer de l’argent public ou être en rapport avec lui, d’une manière directe ou indirecte, comme les fonctionnaires, les militaires et juges, les conseillers, les élus nationaux ou locaux, mais aussi personnes privées qui traitent avec les institutions de l’État.
Malgré l’avis contraire d’un certain nombre de politiciens concernés par cette nouvelle loi, il semble que le Premier ministre et les autres membres du gouvernement pourront être jugés devant les tribunaux ordinaires, l’article 11 de la loi indiquant « que l’enrichissement illicite est un crime ordinaire relevant d’actes personnels » et de ce fait, il ne pourrait normalement être classé parmi les actes entrant dans l’exercice des fonctions des membres du gouvernement – et donc ne leur permet pas selon toute vraisemblance d’être jugés par la Haute Cour. Instituée par la Constitution (article 70), cette juridiction d’exception a le pouvoir de juger les présidents et les ministres. L’immunité dont bénéficient les parlementaires peut, elle, être levée selon une procédure dédiée. Le président de la république n’échappera pas non plus à cette infraction, mais sera jugé par la Haute Cour.
Quiconque commet le crime d’enrichissement illicite sera assujetti à un emprisonnement de trois à sept ans et passible d’une amende allant de trente à deux cents fois le salaire minimum officiel et ce, en sus de l’obligation de restitution des biens mal acquis aux parties concernées et lésées ou, à défaut, au trésor public. Le jugement doit être publié dans deux journaux locaux.
D’un autre côté, cette nouvelle Loi a élargi le cercle des catégories de personnes travaillant dans la fonction publique ou au service de cette dernière tenues d’effectuer des déclarations de patrimoine et a augmenté la périodicité afin de renforcer la transparence et le contrôle. En effet, ces déclarations doivent être faites une première fois dans les deux mois suivant la prise de poste (entrée en fonction). À défaut, la personne sera automatiquement considérée comme démissionnaire et cessera d’encaisser les revenus liés à sa fonction. Tout décaissement des comptables publics en infraction de ce qui précède, engagera la responsabilité de ces derniers conformément aux dispositions des articles 93 et 173 de la Loi sur la comptabilité publique. Une fois enregistrées, les déclarations devront ensuite être mises à jour tous les trois ans, et enfin, une dernière fois deux mois après le départ de la personne.
Concernant la soumission de ces déclarations, celles-ci doivent être présentées sur papier ou par tout moyen électronique approuvé par la Loi et doivent être détaillées de sorte à inclure aussi bien les actifs de la personne au Liban et à l’étranger (tout revenu généré par la fonction publique, les biens meubles et immeubles, les comptes en banque, les espèces déposées dans des banques et/ou des institutions financières, les espèces conservés chez soi, les bijoux et œuvres d’art selon des plafonds déterminés, les intérêts financiers et patrimoniaux résultants de mécanismes complexes et structures diverses (Trust, donations, etc.), les procurations sur comptes tiers, mais aussi ses dettes et engagements, et autres intérêts au Liban et à l’étranger. Seules les trois premières catégories de fonctionnaires sont contraintes de respecter cette exigence de déclaration (pour le moment), sauf dans les administrations jugées sensibles (ministère des Finances par exemple) où elle est étendue à l’ensemble des effectifs concernés.
Les déclarations seront déposées auprès des mêmes instances jusqu’à ce que la Commission nationale de lutte contre la corruption soit constituée et active. Cette commission, aura également vocation à être notifiée, tout comme le parquet, par les lanceurs d’alerte. La loi prévoit également la possibilité pour ces derniers de lancer directement des actions en justice dans ce cadre.
Enfin, cette Loi innove également en assouplissant considérablement les modalités préalables au lancement d’une action en justice. Si le lanceur d’alerte passe par une notification à la Commission nationale, la procédure est gratuite et sans condition de caution ainsi que celle entreprise par cette dernière. S’il porte plainte lui-même devant les tribunaux compétents, il devra déposer une caution de trois millions de livres, contre 25 millions selon l’ancienne loi. Il pourra récupérer le montant déposé, sauf en cas d’abus de droit combiné à un échec de la procédure sur le fond, alors que l’ancienne loi sanctionnait les procédures abusives ainsi que celles qui n’avaient pas pu aboutir, faute de preuve, à une amende équivalant à 200 millions de livres au moins et une peine de prison allant entre trois mois et un an, sans compter les frais de justice ainsi que les dommages et intérêts pouvant être réclamés par le défendeur.
Les déclarations sont strictement confidentielles, et quiconque divulgue leur contenu sera assujetti à un an d’emprisonnement au maximum et à une amende dont le montant peut être porté de cinq à dix fois le salaire minimum officiel ou soumis à l’une de ces deux sanctions. Ainsi, des enquêtes et des poursuites pénales peuvent être menées également à son encontre.
De plus, quiconque soumet une fausse déclaration sera assujetti à un emprisonnement de six mois à un an et passible à une amende allant de 10 à 20 fois le salaire minimum officiel.