L’objectif d’une telle initiative est de transformer l’Administration Publique libanaise (“AP”) d’une administration pléthorique, inefficace et coûteuse en une administration publique souple, performante et financièrement saine, au sein de laquelle chaque Fonctionnaire est évalué, et placé dans le poste le plus adéquat de manière à ce que sa contribution soit la plus efficace et utile possible aux usagers de l’AP, à savoir, les citoyens.
Dans le cadre de cette Initiative, des propositions sont soumises visant à alléger la bureaucratie, réduire les coûts et investir dans une réforme des ressources humaines, l’objectif final étant de “Mieux Servir les Citoyens”. L’enjeu par la suite sera de faire de ces propositions une réalité durable, et que l’AP et les Fonctionnaires soient tenus de rendre compte de la qualité des services rendus aux citoyens. Le Rapport McKinsey, émis il y a trois ans et intitulé “Une Vision Economique pour le Liban”, avait identifié à ce propos, plusieurs piliers essentiels pour assurer une AP efficace et rentable, au nombre desquels: la productivité, la numérisation, la transparence et la confiance. Le rapport avait conclu que le Liban ne remplit aucun de ces critères. Des quatre piliers principaux précités, cette Initiative ne porte que sur le premier, à savoir la Productivité de l’AP, ou plus précisément le souci de favoriser une fourniture plus efficace de biens et services publics. Elle aspire ainsi à mettre en place une stratégie de réforme de l’AP à moyen/long terme pour déterminer les priorités et l’ordre de mise en œuvre des actions prévues et propose à titre préliminaire les principales étapes suivantes:
a) Evaluer l’organigramme, les descriptions de poste, les profils de postes et le calendrier de recrutement de chaque AP; établir un organigramme optimal, modifier les descriptions et profiles de postes si nécessaire, et mettre en place un nouveau calendrier de recrutement.
b) Evaluer la structure actuelle de l’AP et faire passer à chaque Fonctionnaire un test de compétence afin de lui proposer une formation pour acquérir de nouvelles compétences adaptées au poste ou à un poste différent en fonction des besoins de l’organisation et des compétences du Fonctionnaire. Dans le cas où l’AP à laquelle le Fonctionnaire est affecté n’a pas besoin des compétences de ce dernier ou est déjà en sureffectif, ledit Fonctionnaire sera alors transféré à un “Pool Central de Compétences”, géré par le Ministère de la Réforme Administrative (OMSAR) ou tout autre ministère qui serait affecté à cette tâche ; du Pool, le Fonctionnaire sera réaffectera à une AP en sous-effectif ou à une AP qui a besoin des compétences spécifiques de ce Fonctionnaire. Le Pool Central de Compétences fera office de
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réservoir stratégique à la disposition de l’Administration Publique, et sera également capable de fournir au besoin des ressources humaines qualifiées au secteur privé.
c) Evaluer la nature et l’étendue des défaillances en matière de gouvernance, y compris la corruption et l’incompétence, ainsi que les conséquences macroéconomiques de ces défaillances.
d) Mettre en place et améliorer la transparence, et les processus de signalisation et de responsabilisation, ainsi que le respect des lois et des contrôles internes et ce, par la mise en place d’un système de sanctions efficace et une distribution des responsabilités. Il est utile d’ailleurs de relever à ce propos, que les pratiques et institutions des AP inefficaces sont souvent liées à la corruption.
ARRETER TOUT RECRUTEMENT EXTERNE DE FONCTIONNAIRES
Depuis l’adoption par le Parlement de la Loi No. 46/2017, dont l’article 21 dispose que toute forme de recrutement est strictement interdit, les ministres des gouvernements en place à l’époque ont recruté au total, en violation de la loi, entre 5 000 et 10 000 Fonctionnaires supplémentaires à des fins purement électorales. La Commission parlementaire des Finances et du Budget a demandé par la suite une enquête et s’est engagée à poursuivre en justice les ministres qui ont enfreint la loi et les Fonctionnaires qui ont été recrutés en violation de ladite loi, toutefois rien de palpable n’a été encore été fait à ce jour, mis à part un rapport de l’Inspection Centrale jeté aux oubliettes. Il convient de mentionner à ce titre qu’en vertu de l’article 112 de la Loi de la Comptabilité Publique (Décret No. 14969 daté du 30 décembre 1963), les ministres sont responsables sur leur biens personnels de tout dépassement des crédits alloués à leur ministère. La loi ne peut être considérée comme un point de vue, et l’article 21 de la Loi No.46/2017 doit être strictement appliqué sous peine d’entrainer la responsabilité directe des contrevenants. Aucun recrutement en vertu d’un contrat de quelque nature que ce soit de tout Fonctionnaire dans une quelconque AP ne doit être effectué. Dans le cas où une AP a besoin de recruter des Fonctionnaires supplémentaires pour améliorer sa performance ou ses prestations de services, celle-ci doit recruter en interne auprès du Pool Central de Compétences et uniquement selon les mérites, indépendamment de toute affiliation politique.
EFFECTUER UN AUDIT DE TOUS LES SECTEURS ET NIVEAUX DE L’ADMINISTRATION PUBLIQUE
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Dans une deuxième étape, un groupe de travail conjoint, composé du Ministère de la Réforme Administrative et d’experts en ressources humaines ainsi que d’experts techniques indépendants, sera mis en place et chargé d’effectuer un audit de tous les secteurs de l’AP et de tous les Fonctionnaires simultanément. Les mesures suivantes devront être prises:
- Evaluer l’organigramme, les effectifs et les profils d’emploi et description de postes de chaque AP, par rapport à la mission, au volume de services et à la performance qui sont requis de chaque AP.
- Formuler des recommandations et créer de nouveaux profils de postes, sur base des compétences.
- Evaluer chaque Fonctionnaire dans chaque AP en fonction des nouvelles compétences qui figurent dans les nouveaux profils et description de postes.
L’audit permettra d’établir une cartographie précise des besoins en ressources humaines et des ressources humaines existantes, ce qui permettra au gouvernement de développer et de mettre en œuvre une réforme moderne et équitable de l’AP. Au terme de cet audit, les Fonctionnaires seront regroupés en quatre catégories:
a) Les Fonctionnaires qui, pris individuellement, sont performants et qui sont nécessaires à l’AP à laquelle ils sont affiliés : ils sont maintenus à leur poste sans aucun changement de statut ou fonction.
b) Les Fonctionnaires qui, pris individuellement, sont performants et qui ont la capacité d’être formés, d’évoluer et d’acquérir les compétences nécessaires à leur fonction, mais dont l’AP à laquelle ils sont affiliés n’a pas besoin : ils gardent leur emploi et sont transférés au Pool Central de Compétences.
c) Les Fonctionnaires qui, pris individuellement, ne sont pas performants et qui n’ont pas la capacité d’être formés et d’évoluer pour acquérir les compétences nécessaires à leur fonction : ils gardent leur emploi, mais sont affectés à des postes de niveau (inférieur), qui correspondent leurs compétences.
d) Les Fonctionnaires “fantômes” : ils sont immédiatement licenciés avec ou sans indemnités de fin de service et/ou pensions de retraite.
Au préalable, une étude d’impact devra être effectuée pour évaluer les conséquences des transferts des Fonctionnaires au Pool Central de Compétences et s’assurer que la réduction des
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effectifs n’aura pas un impact négatif sur les services offerts par l’AP à court et moyen terme. De plus, lors de la mise en place des mesures susmentionnées, il faudra veiller à ce que tous les Fonctionnaires soient traités de manière juste et équitable, indépendamment de leur statut personnel, religion ou affiliation.
LE POOL CENTRAL DE COMPETENCES
Le Pool Central de Compétences sera considéré comme un réservoir stratégique de compétences à la disposition de l’Administration Publique, et pourra aussi servir, au besoin, à fournir des effectifs qualifiés au secteur privé. Il sera géré par le Ministère de la Réforme Administrative et accueillera tous les Fonctionnaires visés par les mesures qui précèdent. Ceux- ci conserveront toutefois tous leurs droits acquis et seront formés en fonction des besoins des différents secteurs de l’AP. En fonction des besoins, il sera fait appel au Pool Central de Compétences pour fournir des Fonctionnaires à toute AP qui aurait besoin de ressources supplémentaires, de manière temporaire ou permanente. Le cas échéant, ce Pool pourra également aider les Fonctionnaires à trouver un emploi dans le secteur privé. Par conséquent, le Pool Central de Compétences aura un double rôle:
a) Servir d’appui à tous les secteurs de l’AP: des effectifs spécialisés seront affectés à cet effet de manière temporaire ou permanente auprès de toute AP qui aurait besoin de leurs services.
b) Servir d’agence de recrutement pour le secteur privé: il œuvrera à encourager et aider les Fonctionnaires dont les compétences ne sont pas nécessaires dans les AP mais qui sont nécessaires au secteur privé, à intégrer le secteur privé. Des mesures incitatives devront être offertes, dans ce cadre, aux entreprises du secteur privé en vue de recruter ces Fonctionnaires. Les droits acquis de ces derniers (indemnités, compensation et autres droits) devront être garantis.
COMPLEMENTARITE ENTRE CETTE INITIATIVE ET LES AUTRES MESURES DE REFORME
Cette Initiative s’inscrit dans le cadre d’un examen complet de la structure et des processus opérationnels de l’AP et devra être impérativement accompagné de mesures complémentaires nécessaires. Une attention particulière devra être d’ailleurs portée aux questions suivantes:
1- Mise en place d’une automatisation des services par le biais de l’e-gouvernement, qui est l’un des principaux moyens de réduire la bureaucratie, d’améliorer et d’accélérer les services offerts et d’assurer la transparence en luttant contre la corruption et la pratique des pots-de- vin.
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2- Améliorer la qualité des services fournis par les AP et les Fonctionnaires sur bases des critères suivants:
a) Evaluer de manière permanente les performances des individus et des départements.
b) Comparer les coûts des services offerts par les AP aux coûts des services équivalents fournis par le secteur privé.
c) Assurer la formation continue et fusionner les départements et les fonctions en tenant compte des besoins.
d) Octroyer des récompenses financières aux seuls Fonctionnaires performants (et non systématiquement des bonus à tous).
e) S’assurer de la mise en place de systèmes adéquats de contrôle de la performance, et rendre les Fonctionnaires responsables des résultats.
3- Assurer une meilleure coopération entre l’AP et le secteur privé, et effectuer des échanges croisés entre des Fonctionnaires et des employés du secteur privé, si nécessaire. Il faudra cependant prévoir pour cela une égalité de traitement entre Fonctionnaires et employés du secteur privé en matière de pensions de retraite et d’impôts. Les Fonctionnaires ne pourront pas bénéficier d’exemptions fiscales sur leurs salaires, indemnités, pensions de retraite etc. sans que cette possibilité ne soit aussi ouverte aux employés du secteur privé. Sinon l’imposition et les retenues s’appliqueront à tous.
4- Réaliser des économies en matière de marchés publics et de dépenses publiques, et effectuer un contrôle permanent des dépenses publiques. Ceci nécessite de moderniser au plus tôt les appareils étatiques et les législations relatifs aux achats publics et appels d’offres.
6- Mettre en place des mécanismes efficaces de sanctions applicables à la gestion du service public.
7- Créer et/ou renforcer des pouvoirs judiciaires indépendants et intègres chargés de se prononcer sur la légalité des dépenses publiques et leur conformité aux règlementations fiscales, ainsi que sur la constitutionalité des coupes budgétaires, en mettant l’accent sur les dépenses non budgétisées.
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8- Lutter contre la corruption au sein des AP, étant donné que la corruption endémique affecte la performance économique, en affaiblissant les fonctions de l’Etat et en nuisant aux vecteurs de croissance potentielle et inclusive.
9- Mettre en place des mesures visant à empêcher les acteurs du privé de verser des pots-de- vin ou de fournir des services, structures et mécanismes qui faciliteraient la dissimulation des produits de la corruption. Parallèlement à ces mesures, et pour garantir la bonne marche des services et encourager les investissements, un mécanisme de paiements de facilitation (Facilitating Payment/FPCA) devrait être mis en place pour légaliser les coûts plus élevés en cas de formalités gouvernementales accélérées, en prévoyant une distribution équitable, légale et transparente des coûts. (Il convient de rappeler que cette mesure a déjà été adoptée pour les passeports délivrés par la Direction de la Sûreté Générale).
10- Adopter la technologie de « Blockchain » pour réduire les possibilités de dissimulation, d’évasion et renforcer la transparence.
11- Mettre en place un code déontologique dans le secteur public pour les Fonctionnaires et les acteurs du privé, qui régirait les relations entre eux.
12- Mettre l’accent sur la gouvernance et le contrôle des entreprises d’Etat comme faisant partie intégrante de la réforme de l’AP/ Fonctionnaires. A cet effet, les mesures suivantes devront être prises:
- a) Superviser et réglementer les entreprises d’Etat (SOE), comme s’il s’agissait d’entreprises privées; établir une séparation claire selon que ces entreprises agissent en tant que propriétaire, régulateur ou pouvoir décisionnel.
- b) Eviter et éliminer les conflits d’intérêts.
- c) Empêcher la poursuite d’ingérence politique.
- d) Renforcer la responsabilisation, le reporting et la divulgation d’informations aux organes
de représentation comme le Parlement, y compris au sujet de questions liées aux
garanties de l’Etat relatives aux engagements des entreprises d’Etat.
- e) S’assurer de la mise en place des systèmes adéquats de contrôle de la performance et
tenir les entreprises d’Etat responsables des résultats.
13- Adopter enfin une réforme de la nomenclature budgétaire avec l’adoption d’une Loi organique qui permettrait un meilleur suivi de l’exécution du Budget et de rendre responsable
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gouvernement et ministres de leur engagements sans possibilité de se soustraire ou de renvoyer la responsabilité au parlement. Ceci aura pour corolaire d’articuler le budget général de l’Etat en missions et programmes et non plus en chapitres comme c’est le cas actuellement. L’objectif étant de passer d’une logique de moyens à une logique de résultats. Cela aura pour conséquence certaine, l’instauration de projets de performance dans lesquels des objectifs sont donnés par ou aux ministères. Ce qui permettait un contrôle a posteriori de l’accomplissement de ces objectifs par le biais des rapports annuels de performance présentés par les différents ministères qui doivent dès lors rendre compte de leur action en mettant en évidence les résultats obtenus au regard des moyens mobilisés par le Parlement.
Pour conclure, il serait utile de rappeler à ceux qui semblent l’avoir oublié, que l’Administration Publique libanaise doit être au service des citoyens libanais et des entreprises libanaises. Les indicateurs clés de performance doivent donc être identifiés périodiquement et communiquées publiquement comme le préconise d’ailleurs la Loi No 28/2017 sur le droit d’accès à l’information, notamment en matière de satisfaction du client, du coût et des délais de chaque service offert. La “bonne gouvernance” reconnaît d’ailleurs que la qualité de la gouvernance peut affecter l’efficacité et l’efficience de l’AP dans la réalisation des résultats escomptés, et doit reposer sur des politiques et mesures équitables et inclusives.
Dr. Nasri Antoine DIAB
Avocat aux Barreaux
de Beyrouth et de Paris Professeur des Facultés de Droit
Joseph OTAYEK
Expert en Stratégie et Management de la Santé
Karim DAHER
Avocat à la Cour Maître de conférence en Droit Fiscal