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Will the Public Procurement Law also fall on deaf ears?
This is the topic of the new joint press statement issued by a group of civil society organizations, on the Violations in the Implementation of the Public Procurement Law.
The signatories monitor the serious abuses taking place in the application of the Public Procurement Law with great concern, as they open the door to corruption and nepotism, and allow illegal use of public funds.
Retrait des « lollars » : jeu de dupes ou association de malfaiteurs ?
Dans cet État de non-droit qu’est le Liban, chaque jour, ou presque, apporte son lot de turpitudes, rebondissements et autres défis à la logique, si bien que la stupeur et la colère qu’ils devraient légitimement susciter finissent par laisser place à la résignation et à l’inaction. En ce sens, le feuilleton de la suspension-réactivation de la circulaire 151 de la Banque centrale (permettant le retrait des « lollars » à 3900 LL) qui s’est joué sous nos yeux ces trois derniers jours, est à bien des égards l’illustration la plus parfaite de cette triste réalité où les jeux de dupes côtoient le mauvais vaudeville avec toujours le même objectif : permettre, alors que l’édifice s’effondre, à chacun de défendre ses actions et son image plutôt que d’élaborer un plan réaliste et limitant les impacts de la crise sur les libanais.
Syndrome de Stockholm
La semaine a ainsi commencé avec une décision du Conseil d’État qui, saisi d’un recours, a prononcé la suspension provisoire de cette circulaire avant de se voir rapidement – mais là encore, provisoirement – emboiter le pas par la BDL, ce qui n’a pas manqué de déclencher la panique chez les déposants.
Sans chercher à commenter ou à évaluer la décision judicaire, on se doit de relever tout d’abord que cette suspension conservatoire porte sur une décision réglementaire émise il y a plus d’un an et dont Le temps impartipour la contestation (2 mois) aurait dû expirer il y a bien longtemps si les délais administratifs et judicaires prévus n’avaient été suspendus en raison du lot de tragédies successives qui accablent le pays. On ne peut ensuite que s’étonner du manque de clairvoyance et de clarté de cette décision reposant sur l’article 77 du règlement du Conseil d’État. Ce dernier dispose en effet que la suspension à titre conservatoire d’un acte réglementaire ne peut se faire qu’à titre exceptionnel ; seulement dans la mesure où cet acte est susceptible de causer au plaidant un très grave préjudice (irréversible) ; et à condition qu’il ne porte pas atteinte à l’ordre public et auquel les sécurités économique et monétaire ne peuvent être que rattachées. Or le préjudice était déjà largement consommé depuis plus d’un an et la sécurité a été mise à rude épreuve pendant 24 heures. Dès lors, n’aurait-il pas mieux fallu trancher l’affaire directement dans le fonds en accélérant le cours de la procédure tout en s’employant dans l’intervalle à trouver des palliatifs rationnels et efficaces ?
Que dire ensuite de la scène suivante qui s’est jouée jeudi à Baabda et qui a illustré à nouveau la déliquescence de l’état de droit ainsi que la perméabilité du « pouvoir judiciaire » à toutes les ingérences. Une scène dans laquelle un haut fonctionnaire, suspecté depuis des mois et sous le coup de plusieurs instructions judiciaires locales et internationales pour détournement de fonds et blanchiment d’argent, s’est ainsi vu confier le soin de trouver une échappatoire à une situation inextricable à laquelle il a lui-même grandement contribué. Il faut dire qu’il a été bien aidé dans cela par un magistrat complaisant qui lui aurait, selon ses propres dires, soufflé l’astuce procédurale pour se dérober à l’exécution de sa propre décision sous le parrainage de la magistrature suprême. Haut fonctionnaire qui a même été jusqu’à confier que « la BDL n’avait pas publié de circulaire qui annule une autre mais un simple communiqué » et que « l’argent des Libanais se trouvait dans les banques » – le même argent bloqué depuis bientôt deux ans par un simple communiqué de l’association des banques (ABL) et sans aucune couverture légale ou réglementaire. Ceci présage au demeurant d’un jugement définitif ne dérogeant pas à ce nouveau consensus et consacrant officiellement la « régularité » de l’expropriation appliquée aux dépôts en devises – en violation claire de la Constitution (article 15). Morale de l’histoire : lesdits dirigeants ressortent auréolés d’avoir réglé un problème qu’ils ont eux-mêmes causé tandis que le citoyen lambda peut s’estimer heureux de retrouver les modalités antérieures de sa spoliation – soit le syndrome de Stockholm dans sa plus belle représentation.
Manœuvres complices
Mais au-delà du feuilleton de ces derniers jours, il importe de garder à l’esprit l’ensemble du triste spectacle mis en scène depuis près de deux ans et dont certains aspects pourraient s’apparenter aux actes d’une véritable association de malfaiteurs. Cette dernière est définie par l’article 335 du Code pénal qui incrimine notamment les ententes non écrites visant à porter atteinte aux biens des personnes ou à l’autorité de l’État ou à ses institutions civiles, sécuritaires, financières et économiques. Et il suffit d’être assimilé à cette association ou d’en faire partie ou de l’assister – ostensiblement ou implicitement, directement ou indirectement – pour que les éléments constitutifs de l’infraction soient réunis et la peine encourue. Le droit pénal français va même plus loin en considérant notamment que l’élément déterminant du crime est l’élément intentionnel qui repose sur « la connaissance du caractère trompeur de la pratique commerciale ou de la connaissance du caractère chimérique et de la dupe que l’auteur de l’infraction susciterait par ses manœuvres » (article 450-1). La mauvaise foi étant pour sa part induite de l’examen du comportement de l’individu. Autrement dit, l’auteur doit avoir eu connaissance et conscience que son acte était illégal (article 121-3). Par contre, il n’est pas nécessaire que les membres du groupement formé ou de l’entente établie aient eu le dessein de commettre un crime déterminé de façon précise (article 265).
Dès lors, il convient de relever tous les faits et de faire la lumière sur le rôle joué par divers suspects, complices et intermédiaires qui ont facilité et/ou bénéficié de la réalisation des faits délictueux. À ce titre, il serait utile de lettre en exergue les manœuvres complices opérées par toutes les instances financières compétentes (BDL, ABL, banques commerciales) et les pouvoirs publics officiels (Parlement, gouvernement et tribunaux) pour bloquer toute application des lois visant à restructurer le secteur bancaire et empêcher l’application arbitraire d’un contrôle informel des capitaux. On ne peut que relever également leur négligence criminelle – qu’il s’agisse de la mise en œuvre des réformes indispensables ou de la négociation avec les créanciers – , afin de mettre à la charge des seuls déposants (via une ponction officieuse) et de l’ensemble des citoyens (via l’inflation galopante) la perte abyssale enregistrée aux niveaux des comptes publics. Cette « association de malfaiteurs » prend ainsi en otage la population, paralyse la justice, garde la main basse sur les forces de l’ordre et l’armée et donne le tournis aux pays amis et organismes internationaux.
Et le crime peut s’avérer payant : si les choses continuent à s‘enliser, la dette des banques et celle de la BDL seront pratiquement épongées dans un an et le système oligarque, clanique et confessionnel pourra continuer à fonctionner comme de plus belle – voire être relégitimé par de nouvelles élections.
Dans cette même perspective et pour ce qui est de l’existence d’une entente caractérisant le délit, nous pouvons aussi évoquer au nombre des ententes tacites, les « ingénieries » financières opérées il y a quelques années et qui ont grandement contribué à l’état d’insolvabilité et d’effondrement actuels. Elles se sont traduites par des pratiques commerciales trompeuses vis-à-vis des épargnants attirés par des taux d’intérêts extrêmement rémunérateurs. La complicité des différents acteurs y est évidente à commencer par le rôle clef de la BDL qui proposait des taux attractifs pour attirer les capitaux des banques commerciales avant de prêter ensuite ces fonds à un Etat rongé par le clientélisme et in fine insolvable.
Bien évidemment, tout ceci n’aurait jamais été possible en présence d’un véritable État de droit. De fait, depuis le 1 novembre 2019, le secteur bancaire était déjà dans une situation compromise et la BDL aurait dû, selon ses prérogatives, le protéger et protéger les déposants. Les institutions en faillite ou défaillantes auraient ainsi dû être mises sous tutelle avec changement de dirigeants et gel de leurs actifs et ce, en déférant le dossier au tribunal compétent ou en adoptant les mesures qui s’imposaient (Loi n° 2/67 sur la faillite et Loi n° 110/91 pour la mise sous tutelle). Au lieu de cela et à défaut de procéder à une restructuration rapide et nécessaire du secteur, la BDL a laissé pourrir la situation pour protéger les dirigeants de banques – plutôt que les banques – et ce, avec la complicité volontaire ou involontaire des pouvoirs publics. Cette politique de « laisser faire, laisser passer » a ainsi transféré la charge de la perte au détriment exclusif des déposants et des citoyens. Parallèlement, une majorité de parlementaires complices a œuvré à torpiller le plan de sauvetage du gouvernement qui faisait porter aux banques commerciales et à la BDL une part importante des responsabilités – tout en bloquant ou retardant le vote de lois essentielles pour mettre fin à la fuite des capitaux ou rétablir la vérité des pertes. Enfin, tout ceci a été grandement facilité par un gouvernement aux abonnés absents et démissionnaire même de ses obligations élémentaires d’expédition des affaires courantes et une justice inexistante et tétanisée par sa gratitude obligée aux oligarques omnipotents.
Taper des pieds
Faut-il pourtant se convaincre que la messe est dite ? Pas nécessairement. Car ce qui était jadis impossible est aujourd’hui envisageable grâce à un ensemble de facteurs locaux et internationaux que l’on ne doit cesser de porter à la connaissance des citoyens. Du fait de l’intensification des pressions internationales depuis 2015 puis de celles résultant du soulèvement populaire d’octobre 2019, le Liban se trouve désormais doté d’un arsenal de lois adaptées (corruption, blanchiment, évasion fiscale, enrichissement illicite, etc.) qui lui permettent de demander des comptes à tout dirigeant ou agent public, de scruter ses actes et de tracer les sources de sa fortune pour, le cas échéant, le poursuivre et le sanctionner ou le convaincre à se retirer ; et en toute hypothèse tenter de récupérer les biens mal acquis en partie ou en totalité. Parallèlement, au niveau international, un consensus se dessine aujourd’hui autour de la question de l’intégrité financière et des flux financiers illicites (corruption, blanchiment d’argent, pratiques fiscales abusives …) qui érodent les ressources publiques privant de nombreux pays en voie de développement de moyens nécessaires pour assurer un développement durable. Le Liban ne pourra continuer à échapper à cette logique.
Mais il ne faut pas pour autant se leurrer et croire que d’autres feront le travail à notre place : c’est en continuant inlassablement à taper des pieds que l’on pourra réveiller un peuple devenu presque aussi somnolent que ses élites. Parallèlement, il faudra aussi des juges intègres, téméraires, compétents, indépendants et intrépides pour faire prévaloir la loi et la justice. Où sont-ils ?
Karim Daher
Retrait des « lollars » : jeu de dupes ou association de malfaiteurs ?
Dans cet État de non-droit qu’est le Liban, chaque jour, ou presque, apporte son lot de turpitudes, rebondissements et autres défis à la logique, si bien que la stupeur et la colère qu’ils devraient légitimement susciter finissent par laisser place à la résignation et à l’inaction. En ce sens, le feuilleton de la suspension-réactivation de la circulaire 151 de la Banque centrale (permettant le retrait des « lollars » à 3900 LL) qui s’est joué sous nos yeux ces trois derniers jours, est à bien des égards l’illustration la plus parfaite de cette triste réalité où les jeux de dupes côtoient le mauvais vaudeville avec toujours le même objectif : permettre, alors que l’édifice s’effondre, à chacun de défendre ses actions et son image plutôt que d’élaborer un plan réaliste et limitant les impacts de la crise sur les libanais.
Syndrome de Stockholm
La semaine a ainsi commencé avec une décision du Conseil d’État qui, saisi d’un recours, a prononcé la suspension provisoire de cette circulaire avant de se voir rapidement – mais là encore, provisoirement – emboiter le pas par la BDL, ce qui n’a pas manqué de déclencher la panique chez les déposants.
Sans chercher à commenter ou à évaluer la décision judicaire, on se doit de relever tout d’abord que cette suspension conservatoire porte sur une décision réglementaire émise il y a plus d’un an et dont Le temps impartipour la contestation (2 mois) aurait dû expirer il y a bien longtemps si les délais administratifs et judicaires prévus n’avaient été suspendus en raison du lot de tragédies successives qui accablent le pays. On ne peut ensuite que s’étonner du manque de clairvoyance et de clarté de cette décision reposant sur l’article 77 du règlement du Conseil d’État. Ce dernier dispose en effet que la suspension à titre conservatoire d’un acte réglementaire ne peut se faire qu’à titre exceptionnel ; seulement dans la mesure où cet acte est susceptible de causer au plaidant un très grave préjudice (irréversible) ; et à condition qu’il ne porte pas atteinte à l’ordre public et auquel les sécurités économique et monétaire ne peuvent être que rattachées. Or le préjudice était déjà largement consommé depuis plus d’un an et la sécurité a été mise à rude épreuve pendant 24 heures. Dès lors, n’aurait-il pas mieux fallu trancher l’affaire directement dans le fonds en accélérant le cours de la procédure tout en s’employant dans l’intervalle à trouver des palliatifs rationnels et efficaces ?
Que dire ensuite de la scène suivante qui s’est jouée jeudi à Baabda et qui a illustré à nouveau la déliquescence de l’état de droit ainsi que la perméabilité du « pouvoir judiciaire » à toutes les ingérences. Une scène dans laquelle un haut fonctionnaire, suspecté depuis des mois et sous le coup de plusieurs instructions judiciaires locales et internationales pour détournement de fonds et blanchiment d’argent, s’est ainsi vu confier le soin de trouver une échappatoire à une situation inextricable à laquelle il a lui-même grandement contribué. Il faut dire qu’il a été bien aidé dans cela par un magistrat complaisant qui lui aurait, selon ses propres dires, soufflé l’astuce procédurale pour se dérober à l’exécution de sa propre décision sous le parrainage de la magistrature suprême. Haut fonctionnaire qui a même été jusqu’à confier que « la BDL n’avait pas publié de circulaire qui annule une autre mais un simple communiqué » et que « l’argent des Libanais se trouvait dans les banques » – le même argent bloqué depuis bientôt deux ans par un simple communiqué de l’association des banques (ABL) et sans
aucune couverture légale ou réglementaire. Ceci présage au demeurant d’un jugement définitif ne dérogeant pas à ce nouveau consensus et consacrant officiellement la « régularité » de l’expropriation appliquée aux dépôts en devises – en violation claire de la Constitution (article 15). Morale de l’histoire : lesdits dirigeants ressortent auréolés d’avoir réglé un problème qu’ils ont eux-mêmes causé tandis que le citoyen lambda peut s’estimer heureux de retrouver les modalités antérieures de sa spoliation – soit le syndrome de Stockholm dans sa plus belle représentation.
Manœuvres complices
Mais au-delà du feuilleton de ces derniers jours, il importe de garder à l’esprit l’ensemble du triste spectacle mis en scène depuis près de deux ans et dont certains aspects pourraient s’apparenter aux actes d’une véritable association de malfaiteurs. Cette dernière est définie par l’article 335 du Code pénal qui incrimine notamment les ententes non écrites visant à porter atteinte aux biens des personnes ou à l’autorité de l’État ou à ses institutions civiles, sécuritaires, financières et économiques. Et il suffit d’être assimilé à cette association ou d’en faire partie ou de l’assister – ostensiblement ou implicitement, directement ou indirectement – pour que les éléments constitutifs de l’infraction soient réunis et la peine encourue. Le droit pénal français va même plus loin en considérant notamment que l’élément déterminant du crime est l’élément intentionnel qui repose sur « la connaissance du caractère trompeur de la pratique commerciale ou de la connaissance du caractère chimérique et de la dupe que l’auteur de l’infraction susciterait par ses manœuvres » (article 450-1). La mauvaise foi étant pour sa part induite de l’examen du comportement de l’individu. Autrement dit, l’auteur doit avoir eu connaissance et conscience que son acte était illégal (article 121-3). Par contre, il n’est pas nécessaire que les membres du groupement formé ou de l’entente établie aient eu le dessein de commettre un crime déterminé de façon précise (article 265).
Dès lors, il convient de relever tous les faits et de faire la lumière sur le rôle joué par divers suspects, complices et intermédiaires qui ont facilité et/ou bénéficié de la réalisation des faits délictueux. À ce titre, il serait utile de lettre en exergue les manœuvres complices opérées par toutes les instances financières compétentes (BDL, ABL, banques commerciales) et les pouvoirs publics officiels (Parlement, gouvernement et tribunaux) pour bloquer toute application des lois visant à restructurer le secteur bancaire et empêcher l’application arbitraire d’un contrôle informel des capitaux. On ne peut que relever également leur négligence criminelle – qu’il s’agisse de la mise en œuvre des réformes indispensables ou de la négociation avec les créanciers – , afin de mettre à la charge des seuls déposants (via une ponction officieuse) et de l’ensemble des citoyens (via l’inflation galopante) la perte abyssale enregistrée aux niveaux des comptes publics. Cette « association de malfaiteurs » prend ainsi en otage la population, paralyse la justice, garde la main basse sur les forces de l’ordre et l’armée et donne le tournis aux pays amis et organismes internationaux.
Et le crime peut s’avérer payant : si les choses continuent à s‘enliser, la dette des banques et celle de la BDL seront pratiquement épongées dans un an et le système oligarque, clanique et confessionnel pourra continuer à fonctionner comme de plus belle – voire être relégitimé par de nouvelles élections.
Dans cette même perspective et pour ce qui est de l’existence d’une entente caractérisant le délit, nous pouvons aussi évoquer au nombre des ententes tacites, les « ingénieries » financières opérées il y a quelques années et qui ont grandement contribué à l’état d’insolvabilité et d’effondrement actuels. Elles se sont traduites par des pratiques commerciales trompeuses vis-à-vis des épargnants attirés par des taux d’intérêts extrêmement rémunérateurs. La complicité des différents acteurs y est évidente à commencer par le rôle clef de la BDL qui proposait des taux attractifs pour attirer les capitaux des banques commerciales avant de prêter ensuite ces fonds à un Etat rongé par le clientélisme et in fine insolvable.
Bien évidemment, tout ceci n’aurait jamais été possible en présence d’un véritable État de droit. De fait, depuis le 1 novembre 2019, le secteur bancaire était déjà dans une situation compromise et la BDL aurait dû, selon ses prérogatives, le protéger et protéger les déposants. Les institutions en faillite ou défaillantes auraient ainsi dû être mises sous tutelle avec changement de dirigeants et gel de leurs actifs et ce, en déférant le dossier au tribunal compétent ou en adoptant les mesures qui s’imposaient (Loi n° 2/67 sur la faillite et Loi n° 110/91 pour la mise sous tutelle). Au lieu de cela et à défaut de procéder à une restructuration rapide et nécessaire du secteur, la BDL a laissé pourrir la situation pour protéger les dirigeants de banques – plutôt que les banques – et ce, avec la complicité volontaire ou involontaire des pouvoirs publics. Cette politique de « laisser faire, laisser passer » a ainsi transféré la charge de la perte au détriment exclusif des déposants et des citoyens. Parallèlement, une majorité de parlementaires complices a œuvré à torpiller le plan de sauvetage du gouvernement qui faisait porter aux banques commerciales et à la BDL une part importante des responsabilités – tout en bloquant ou retardant le vote de lois essentielles pour mettre fin à la fuite des capitaux ou rétablir la vérité des pertes. Enfin, tout ceci a été grandement facilité par un gouvernement aux abonnés absents et démissionnaire même de ses obligations élémentaires d’expédition des affaires courantes et une justice inexistante et tétanisée par sa gratitude obligée aux oligarques omnipotents.
Taper des pieds
Faut-il pourtant se convaincre que la messe est dite ? Pas nécessairement. Car ce qui était jadis impossible est aujourd’hui envisageable grâce à un ensemble de facteurs locaux et internationaux que l’on ne doit cesser de porter à la connaissance des citoyens. Du fait de l’intensification des pressions internationales depuis 2015 puis de celles résultant du soulèvement populaire d’octobre 2019, le Liban se trouve désormais doté d’un arsenal de lois adaptées (corruption, blanchiment, évasion fiscale, enrichissement illicite, etc.) qui lui permettent de demander des comptes à tout dirigeant ou agent public, de scruter ses actes et de tracer les sources de sa fortune pour, le cas échéant, le poursuivre et le sanctionner ou le convaincre à se retirer ; et en toute hypothèse tenter de récupérer les biens mal acquis en partie ou en totalité. Parallèlement, au niveau international, un consensus se dessine aujourd’hui autour de la question de l’intégrité financière et des flux financiers illicites (corruption, blanchiment d’argent, pratiques fiscales abusives …) qui érodent les ressources publiques privant de nombreux pays en voie de développement de moyens nécessaires pour assurer un développement durable. Le Liban ne pourra continuer à échapper à cette logique.
Mais il ne faut pas pour autant se leurrer et croire que d’autres feront le travail à notre place : c’est en continuant inlassablement à taper des pieds que l’on pourra réveiller un peuple devenu presque aussi somnolent que ses élites. Parallèlement, il faudra aussi des juges intègres, téméraires, compétents, indépendants et intrépides pour faire prévaloir la loi et la justice. Où sont-ils ?
Karim Daher
Un budget 2021 dans le déni
OLJ / Par Nadim A. DAHER, le 17 février 2021 à 00h00
Le ministère des Finances a récemment présenté son avant-projet de budget 2021 au Conseil des ministres avec près de quatre mois de retard. Et surtout avec de grandes chances que ce texte soit mort-né, entre un gouvernement démissionnaire et un autre qui ne voit toujours pas le jour, mais aussi face à une vague de contestations de tous bords – allant des syndicats des fonctionnaires jusqu’aux instances patronales en passant par les représentants des professions libérales.
Pratiques nuisibles
Contrairement aux projets de budget précédents, celui de 2021, tel qu’il circule sur les réseaux sociaux, ne comporte pas de données macroéconomiques habituellement estimées dans une loi de finances tel que le produit intérieur brut (PIB) ou le taux d’inflation – sans doute au prétexte que cela figurera dans une mouture ultérieure. En revanche, ce projet de budget s’inscrit dans une continuité de pratiques nuisibles, telles que l’octroi de réductions sur les pénalités et l’amnistie partielle des redressements fiscaux en litige auprès de l’administration fiscale et des commissions de contestation (articles 19 à 22). L’argument avancé par les auteurs de ce projet de budget, qui ressemble à celui de leurs prédécesseurs, est d’assurer des revenus au Trésor en incitant les contribuables réfractaires à payer leurs arriérés d’impôts motivés par une réduction des pénalités de retard. Or l’effet contraire se produit à chaque fois, puisqu’un grand nombre de contribuables continue ses infractions et ne paye pas ses impôts étant certains que la loi de finances ou les décisions du ministre des Finances (toujours reconduites) viendront réduire les pénalités de 90 % à 100 %. Pendant ce temps, le bon contribuable payant ses impôts à temps comme la loi l’exige demeure le dindon de la farce d’une république en faillite.
Mais le plus étonnant dans ce projet de budget 2021, c’est la série de mesures visant à encourager l’investissement et l’entrepreneuriat à travers des exemptions fiscales sur plusieurs années comme si le pays était en pleine croissance économique et les investisseurs étrangers se bousculaient à nos portes… Les articles 25 et 26, par exemple, accordent pour 3 ans une exemption de 100 % sur l’impôt sur les bénéfices pour les start-up et de 75 % pour toute société industrielle ou touristique (ayant une main-d’œuvre libanaise à 80 %) créée après la parution de la loi de budget 2021. Ou encore, selon l’article 27, une exemption totale de l’impôt sur les bénéfices pour 10 ans pour toute société industrielle ou commerciale créée après la publication de ce budget, employant au moins 50 Libanais et qui exercerait son activité dans une des zones économiques qui seraient définies ultérieurement par le gouvernement pour le développement des régions. Cependant, cette exemption existe déjà à l’article 5 bis de la loi de l’impôt sur le revenu de 1959 et dans la loi 360/2001.
Ces mesures auraient dû être mises en place il y a bien longtemps ou du moins auraient dû faire partie d’un plan économique global de relance qui aurait accompagné un plan de réformes et de redressement tant attendu et réclamé depuis des années par les acteurs économiques et la communauté internationale.
Aujourd’hui, il est trop tard. Un grand nombre de start-up libanaises ont déménagé leur siège à l’étranger, notamment à Abou Dhabi – comme Anghami qui a récemment établi son siège et son centre de R&D dans le pôle technologique Hub71, pour fuir les contraintes imposées par la crise économique libanaise et les restrictions bancaires. Les investisseurs étrangers, autrefois attirés par la main-d’œuvre qualifiée et la créativité inégalable de la jeunesse libanaise, se détournent désormais du Liban car ils recherchent d’abord une stabilité réglementaire et fiscale, une justice indépendante et efficace, une infrastructure minimale et un secteur bancaire fiable.
Arrêter de tourner en rond
Malheureusement, ce que le Liban offre désormais, c’est une corruption tentaculaire alimentée par une classe politique de kleptocrates vivant dans le déni alors que tout s’écroule autour d’eux. L’inclusion de ces mesures dans ce projet de budget montre bien que la classe politique au pouvoir ne sait plus par où commencer. Elle joue donc à l’apprenti chimiste qui tantôt essaye de mettre au point un plan de redressement fourre-tout mélangeant mesures économiques sectorielles et projets d’infrastructure saupoudrés de timides réformes administratives jamais mises en application ; et tantôt fait passer des mesures inadaptées et inefficientes dans des projets de loi de budget. Tout porte à croire que les mesures fiscales et économiques mises en place ici et là dans des lois de budget ou dans des plans économiques bénéficient aux secteurs proches du cartel politico-économique au pouvoir depuis des années sans vision stratégique visant à remettre le Liban sur l’échiquier régional. Et ce alors que le Liban se trouve face à des pays comme les Émirats arabes unis ou l’Arabie saoudite, qui œuvrent à rendre leurs économies moins dépendantes du pétrole et plus compétitives à l’échelle mondiale dans les domaines des nouvelles technologies et de l’énergie renouvelable.
Il est grand temps d’arrêter de tourner en rond et de rattraper le temps perdu. Les solutions sont bien connues : réduire drastiquement le gaspillage dans la fonction publique en éradiquant le clientélisme au profit de la méritocratie et augmenter les revenus de l’État en arrêtant la contrebande et l’économie parallèle pour rétablir l’équilibre budgétaire. Ces mesures doivent être accompagnées de réformes systémiques et administratives pour activer le contrôle des comptes publics et la mise en place du Partenariat public-privé (PPP) qui serait le meilleur moyen d’optimiser la rentabilité des actifs de l’État. Parallèlement, il est nécessaire de restructurer la dette publique et le secteur bancaire pour relancer les négociations avec le Fonds monétaire international (FMI) et les créanciers étrangers afin d’obtenir le financement nécessaire à la mise en place d’un plan de relance économique et le filet social pour les plus démunis qui devrait également comprendre un plan d’assurance-vieillesse. Les forces vives du pays et de la diaspora n’attendent que ce signal pour retrouver la confiance et investir de nouveau au Liban.
Par Nadim A. DAHER
Associé gérant du cabinet Daher & Partners, Trésorier du Rassemblement des Dirigeants et Chefs d’entreprise Libanais (RDCL) et Membre du conseil de l’Association Libanaise pour les Droits et l’Information des Contribuables (ALDIC).