Adib Y Tohme
En 1992, la dette publique était de 1.7 milliards de dollars.
En 2017, elle est devenue supérieure à 75 milliards de dollars.
Entre les deux dates, quatre présidents de la République, six Premiers ministres, un président de la l’Assemblée nationale et un président de la Banque centrale. Cette brillante performance est la marque d’une belle continuité qu’il faut commencer par saluer. Un tel succès ne saurait être l’enfant du hasard. Il est né d’un plan astucieux, d’une volonté constante et d’une extraordinaire persévérance. Il ressort en effet de nos vingt-cinq dernières années d’histoire : 1) que les gouvernements ont constamment voulu augmenter la dette publique contrairement à ce qu’ils prétendent ; 2) qu’ils s’en sont donné les moyens et ont clairement réussi ; 3) qu’ils ont eu de bonnes raisons d’agir ainsi tout en affirmant le contraire. Mais cette performance, il va nous falloir être constamment vigilants pour l’améliorer. Car le Liban est en excellente voie pour faire encore beaucoup mieux ! Ce n’est pas tout de faire croitre la dette d’une manière constante par le montant des déficits annuels, nous allons devoir l’augmenter brusquement. Et ceci n’est pas gagné. Car comment faire mieux quand on a déjà bénéficié d’un si bel héritage et d’un coup de pouce qui porte le nom d’innovation financière ? En effet, la Banque centrale s’est surpassée fin 2016 avec son ingénierie financière. Il faut faire preuve de beaucoup d’imagination pour maintenir le cap. La discussion du budget est une excellente plateforme pour révéler les talents. On peut inventer par exemple le mouvement immobile, ou comment étaler la grille des salaires dans la place publique pour la faire disparaitre subitement, ou maintenir le prix de l’immobilier à des sommets en l’absence de transactions immobilières, ou introduire le changement pour ne rien changer, ou représenter la légalité et l’illégalité en même temps.
Il y’a bien sûr les recettes habituelles, comme toujours dépenser plus qu’on ne gagne. Ou acheter plus qu’on ne vend. Il s’agit de fabriquer des déficits et les couvrir par plus de dettes. La méthode consiste à augmenter le taux d’emprunt plus vite que le taux de croissance. Et faire attention que la dette ne serve qu’à transférer de la richesse de la base vers le sommet, tout en donnant l’impression que l’argent se déverse de haut en bas. Cette méthode est d’autant plus imparable qu’elle consiste à abaisser le niveau de vie au nom de l’augmentation du niveau de vie. À créer de la richesse au nom de la destruction de la richesse. À compromettre l’avenir tout en faisant croire qu’on est entrain de le construire. Et surtout à encourager la consommation pour maintenir la progression de la dette. Car la dette publique a besoin de la dette privée pour donner sa pleine mesure. L’État ne peut pas tout faire. Décourager le travail ne suffit pas. Encore faut-il encourager l’oisiveté. Il est donc fondamental de redistribuer à ceux qui ne travaillent pas l’argent que l’on a prélevé sur ceux qui s’obstinent à travailler. Et acheter la paix sociale par l’abrutissement généralisé. C’est ce qui a été fait. Il faut aussi veiller à minimiser les chiffres. Quel est le montant de la dette ? Officiellement 75 milliards ? Et si on prend en considération toutes les obligations financières des pouvoirs publics ? 100 milliards ? Plus que 100 milliards ? Qu’importe. Heureusement le pays fonctionne sans budget. Imaginez un budget qui remette en cause la nature de cette dette ! Au mieux, le budget n’est qu’une facture envoyée au peuple pour acquitter les dépenses des gouvernements pour augmenter la dette. Et c’est tant mieux. Ce qui précède montre que la politique de la dette confine à un certain degré de sophistication. Toutefois, même quand on atteint l’excellence, il ne faut pas renoncer à progresser. La dette à des taux réduits c’est l’argent gratuit pour acheter le consentement de tous ceux qui peuvent faire du bruit, comme les médias et la justice. C’est la loi du silence. La dette c’est notre marque de fabrique. C’est notre savoir-faire. C’est ce qui nous distingue des pays qui ne savent pas s’endetter, comme la Grèce ou le Japon. Notre dette, confectionnée à la sauce du délit d’initié est à la fois interne et servie par des taux d’intérêt élevés. Et je garde le meilleur pour la fin : La dette sert à garantir la stabilité de la monnaie nationale qui se maintient grâce à la vente de la dette. C’est le cycle économique à l’envers. Le coût de l’argent sert à piloter l’activité économique. La consommation à créer le travail. Le travail à engendrer l’émigration. L’émigration à multiplier les transferts d’argent et les transferts d’argent à augmenter la dette. Tout cela en entretenant la confusion entre la rentabilité des banques et la croissance économique.
Ces quelques idées pour augmenter la dette ne recoupent sans doute pas l’ensemble de ce que l’on peut imaginer et l’aide de la créativité serait sûrement bienvenue. Car il reste tant à faire, les pistes sont ouvertes et les possibilités infinies. Mais au lecteur qui m’a suivi jusqu’ici avec une attention déridée je dois cette explication : Pour réduire la dette, il suffirait de faire l’inverse de ce qui est proposé ici pour l’augmenter.