Sorry, this entry is only available in French. For the sake of viewer convenience, the content is shown below in the alternative language. You may click the link to switch the active language.
Ce qui était hier encore tout à fait hypothétique ou tout au plus et pour les moins sceptiques simplement probable, est devenu aujourd’hui réalité ! En effet, avec le vote en octobre dernier par la législature prolongée de la Loi No 55 adoptant les conventions multilatérales MAC et MCAA et la promulgation le 7 juillet 2017 de son Décret d’application No 1022 fixant les modalités de mise en œuvre des normes CRS (Common Reporting Standard), le Liban est rentré de plein pied les poings liés dans l’ère de l’échange sur demande (EOIR) et prochainement automatique (AEOI) d’informations financières censé assurer une meilleure transparence fiscale internationale et une limitation des infractions transfrontalières.
En fait de quoi s’agit-il vraiment ? Au risque de se répéter car le sujet a été bien trop largement épuisé voir exploité ces derniers temps, il serait utile ici néanmoins, en prélude à la mise en exergue du vrai problème, d’exposer très synthétiquement les tenants et de montrer les aboutissements d’un tel chamboulement.
Pour preuve, la nouvelle norme CRS, qui rentre en vigueur au Liban cette année, vise à identifier et à compiler à partir du 30 juin 2017 (au lieu du 1er janvier initialement), par le biais des établissements concernés, les informations bancaires et financières des comptes dits «déclarables» de leur déposants non-résidents pour les communiquer aux autorités fiscales locales qui les transmettront à leur tour tous les ans aux autorités compétentes des pays où les détenteurs de ces comptes ont leurs résidences fiscales (il peut s’agir d’ailleurs de plusieurs pays pour un même déposant) afin qu’ils puissent faire l’objet, le cas échéant, de poursuites et d’imposition par lesdites autorités. En clair, pour le Liban à titre d’exemple, ceci veut dire que le secret bancaire n’existe pratiquement plus aujourd’hui pour les comptes des personnes non-résidentes, étrangères ou libanaises. Leurs comptes seront donc mis à nu et communiqués spontanément. Bien évidemment, ceci tout le monde le sait déjà et les concernés s’emploient depuis un certain temps par divers stratagèmes à en limiter les effets. Cela veut dire également, et ceci commence à se savoir, que le fisc libanais recevra sous peu (en principe à partir de septembre 2018), s’il honore toutefois ses engagements techniques et de protection de confidentialité, un lot complet d’informations financières sur les comptes bancaires et intérêts patrimoniaux en capitaux mobiliers détenus par ses résidents à l’étranger. Or, force est de constater que pour l’impôt sur le revenu des capitaux mobiliers (actions, obligations, intérêts divers, etc.), contrairement au principe de territorialité qui prévaut en matière de bénéfices commerciaux ou professionnels, le critère de résidence s’applique ici sur l’ensemble des revenus de source mondiale et l’impôt, au taux de 10% aujourd’hui, est dû dès lors qu’ils sont perçus par un résident libanais. De plus, en cas de manquement de déclaration ou de retard de paiement, une batterie d’amendes et de pénalités s’applique. Le fisc libanais dispose d’ailleurs d’un privilège pour étendre rétroactivement le champ d’application de son redressement et de son imposition. Le délai de reprise (de prescription) dont dispose l’Administration pour redresser les situations rétroactivement est en principe de cinq années fiscales ou même de sept pour les contribuables non déclarés au fisc. En somme, c’est une manne financière inespérée en ces temps de crise qui tombera dans caisses du Trésor; difficile à refuser et dont le fisc ne voudrait en aucun cas se priver au vu de la «désertification» de ses ressources.
Conscients des risques encourus, nombre d’«apparatchiks» de la «nomenklatura» économique et financière, de connivence avec certains grands responsables politiques, préparent en catimini un projet de loi visant à modifier l’article 69 de la loi de l’impôt sur le revenu afin de rendre le critère d’imposition territorial et d’exempter de ce fait de l’impôt, les revenus étrangers de capitaux mobiliers…avec effet rétroactif bien sûr. Le motif avancé pour cette démarche ? La protection de la place financière libanaise et son attractivité pour les capitaux émigrés ou expatriés.
A première vue, cette initiative semble plus que louable et médiatiquement porteuse d’autant qu’elle s’accompagnera d’une amnistie des infractions pour le passé que refuse présentement et avec obstination le fisc. Mais en fait, elle cache un tout autre objectif; celui de la protection de la confidentialité des informations relatives aux comptes bancaires de ces responsables politiques et économiques et le maintien de l’état de grâce «d’impunité». Comment ? Tout simplement, en arguant du fait que le Liban n’impose pas les revenus de capitaux mobiliers étrangers de ses résidents, les instances compétentes libanaises demanderont à ne pas faire figurer le Liban sur la liste des pays partenaires (échange réciproque) dans le cadre de l’échange automatique (MCAA). Ainsi, le Liban communiquera les informations qu’il possède et qui sont relatives aux résidents des pays partenaires (parce qu’il y est astreint) mais ne recevra pas les informations relatives à ses propres résidents; ce qui serait d’ailleurs le cas aussi pour certains pays n’appliquant pas l’impôt sur le revenu comme le Qatar. Ingénieux stratagème il faut le reconnaitre, mais qui n’a pas que des avantages. Les retombées d’une telle mesure sur les résidents libanais ayant des intérêts économiques à l’étranger seront désastreuses.
Plus pratiquement, après l’entrée en vigueur des conventions multilatérales MAC/MCAA (qui ne portent que sur la question d’échange) et dans l’hypothèse où le critère de résidence est disputé pour une personne déterminée entre le Liban et un autre pays, il s’agira en premier lieux de s’assurer s’il existe ou non entre eux une convention fiscale bilatérale visant à éliminer les doubles impositions (DTT). S’il n’en existe pas, le pays concerné appliquera sans réserve sa propre législation fiscale et les risques de double imposition seront grands. S’il existe par contre une telle convention, les dispositions de cette dernière prélaveront de droit sur celles usitées au Liban. A ce titre et en application des modèles de convention OCDE signés par le Liban, est considérée comme résidente d’un Etat contractant, toute personne qui, en vertu de la législation dudit Etat, est assujettie à l’impôt dans cet Etat, en raison de son domicile, de sa résidence, de son siège de direction ou de tout autre critère analogue. Il s’ensuit que lorsqu’un contribuable risque d’être considéré comme ayant sa résidence fiscale dans chacun des deux Etats qui sont en concurrence, la Convention prévoit une série de critères qui s’appliquent par priorité dans l’ordre suivant: le foyer d’habitation (lieu où la personne ou sa famille proche habite normalement), le centre des intérêts vitaux (liens personnels et économiques privilégies), séjour habituel et enfin la nationalité en dernier ressort. Il est aussi spécifié à l’article 4 des conventions cadres et par exception, que cette expression (c.à.d. Résident) «ne comprend pas les personnes qui ne sont assujetties à l’impôt dans cet Etat que pour les revenus de sources situées dans cet Etat». Ce qui signifie en clair que les personnes payant leurs impôts sur base territoriale et ne déclarant pas leurs revenus de source mondiale ne bénéficient pas des critères alternatifs et seront imposables du pays où ils génèrent un revenu comme s’ils y étaient résidents habituels. C’est cette mésaventure que vécurent d’ailleurs très récemment nombre de contribuables, possédant un domicile en France ou en Italie (selon le cas) comme au Liban, mais qui, ne payant au Liban que l’impôt sur leurs revenus de source libanaise, ne furent pas admis à se prévaloir de la qualité de résident fiscal libanais au sens de la Convention et ne purent donc écarter leur qualification de résidents fiscaux de France (ou d’Italie selon le cas), valablement établie en droit interne dudit pays. Les tribunaux français ont d’ailleurs confirmé cette nouvelle tendance (CAA Paris, 7ème chambre, 25 mars 2011 N° 09PA04347). La même interprétation pourrait s’appliquer aussi dans le cas d’intérêts patrimoniaux détenus dans des projets ou sociétés à l’étranger et ce, sur base du critère des liens économiques privilégiés. Par contre, le dépôt d’une déclaration spécifique chaque année dans laquelle seraient reportés les revenus perçus à l’étranger au cours de l’année précédente et le paiement de l’impôt libanais correspondant, permettront au contribuable d’être en mesure de justifier de son statut de résident fiscal libanais et donc de non résident fiscal du pays concerné; avec en prime une économie d’impôts substantielle.
Comme vous le voyez, le Liban n’est pas cet îlot isolé à l’abri des aléas. Il fait partie d’un monde en pleine mutation où l’échange de biens et de services et les activités transfrontalières jouent un rôle prépondérant. Toute tentative de se dérober et de faire du «sur mesure» comme on a l’habitude de faire, risque à terme de nous être fatale…ou du moins et dans un premier temps, d’être fatale a ceux qui contribuent à l’économie productive.
Woody Allen disait un jour “s’intéresser à l’avenir car c’est là qu’il avait décidé d’y vivre”. Je m’y projette aussi pour voir un jour les responsables rendre compte (de leurs avoirs) pour rendre enfin des comptes aux contribuables.
Karim Daher
[1] Avocat Fiscaliste et Enseignant Universitaire. Auteur du Livre “Les Impôts au Liban”