Une conférence sur l’échange automatique d’informations fiscales a suscité un débat quant à la capacité du Liban à continuer à attirer des capitaux étrangers.
Mardi 6 Decembre 2016
La récente mise en conformité du Liban aux normes internationales de transparence fiscale suscite des inquiétudes quant à ses possibles répercussions négatives sur les flux de capitaux de la diaspora libanaise vers le Liban. Une préoccupation qui était palpable chez une partie des participants à la conférence sur l’échange informatique d’informations (CRS en anglais) organisée hier à Beyrouth par l’Association libanaise d’experts-comptables (Lacpa) en partenariat avec la Chambre de commerce, d’industrie et d’agriculture de Beyrouth et du Mont-Liban (CCIAB). « Ce séminaire se tient alors que le Liban a réussi à éviter de justesse d’être inscrit sur la liste des paradis fiscaux non coopératifs de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), grâce à l’adoption de la loi sur l’échange d’informations fiscales (n° 55) », a lancé d’emblée le président de la CCIAB, Mohammad Choucair.
Tous les acteurs conviennent que cette adaptation légale était nécessaire, dans la mesure où elle a permis au Liban de passer, le 4 novembre, la première phase d’évaluation du Forum mondial sur la transparence fiscale, qui porte sur le cadre législatif libanais en matière d’échange d’informations sur demande, une étape à laquelle le pays du Cèdre était bloqué depuis 2012. Le passage de cette première phase par le Liban a été rendu possible par l’adoption de plusieurs lois, en octobre, portant respectivement sur l’échange d’informations fiscales, l’annulation des actions au porteur, l’obligation de déclaration d’activité fiduciaire pour un trust étranger et la définition des critères de résidence fiscale.
« Maintenant que la deuxième phase est atteinte, nous devons passer en procédure accélérée pour commencer une nouvelle phase d’évaluation – qui examine l’application pratique de notre cadre légal – étant donné que nous avons pris du retard dans le processus », explique Carine Chartouni, directrice du département de mise en conformité à la Banque centrale à L’Orient-Le Jour. Elle ajoute que le gouvernement doit encore signer les deux conventions internationales permettant l’échange d’informations, sur demande et automatique, ce qui nécessite la formation d’un nouveau gouvernement (dont la nomination est attendue depuis la désignation, le 3 novembre, de Saad Hariri au poste de Premier ministre).
« Pas le choix »
Reste qu’une partie des acteurs ont soulevé des inquiétudes concernant la mise en place de la norme CRS (que le Liban s’est engagé à adopter dès septembre 2018), et considèrent que sa mise en œuvre doit s’accompagner de mesures additionnelles permettant de maintenir l’attractivité du Liban pour les capitaux étrangers.
« Nous sommes obligés d’échanger des informations fiscales, nous n’avons pas le choix. Mais nous devons réfléchir aux moyens de préserver notre économie et faire en sorte que le Liban continue à attirer les expatriés et leurs investissements », détaille M. Choucair à L’Orient-Le Jour. « L’un des défis posés par la norme CRS est la nécessité d’annuler l’article n° 69 du décret-loi n° 144/1959 (loi de l’impôt sur le revenu) qui taxe les revenus des capitaux mobiliers à l’étranger des résidents libanais (à 10 %). Il faut annuler cette taxe pour pouvoir attirer les capitaux des résidents libanais de l’étranger au Liban », explique Élie Abboud, l’ancien président de la Lacpa. Et pour cause, « les Libanais vivant en dehors du Liban ont une option, et celle-ci est de choisir de ne pas avoir de relations financières et économiques avec le Liban », note pour sa part à L’Orient-Le Jour Chahdan E. Jebeyli, chef du groupe juridique et conformité à Bank Audi.
« L’article n° 69 est préjudiciable à l’économie libanaise, qui est dépendante des transferts des expatriés et des entrées de capitaux étrangers », explique à L’Orient-Le Jour le ministre sortant de l’Économie et du Commerce, Alain Hakim, qui est à l’origine du projet de loi visant à amender cet article, déposé le 24 septembre dernier en Conseil des ministres. « Si l’on taxe les revenus des capitaux des résidents libanais à l’étranger, comme par exemple en Afrique, ils seront doublement taxés si le pays n’est pas signataire d’un traité de non-double imposition avec le Liban (le Liban en a signé avec 32 pays, NDLR). Quelle serait alors leur motivation à envoyer de l’argent au Liban ? » ajoute-t-il.
Égalité devant l’impôt
Car, avec la norme automatique d’échange d’informations fiscales, le Liban recevra désormais les informations concernant les comptes étrangers de ses résidents et pourra ainsi recouvrer ces impôts. « Il ne faut pas seulement se concentrer sur les exigences de la norme CRS, mais aussi comprendre ses implications sur l’économie et les changements que cela implique. Étant donné qu’il existe plus de Libanais en dehors du Liban qu’au Liban, l’impact de la norme CRS n’est pas anodin. C’est pourquoi il faut que toutes les parties prenantes s’impliquent dans une discussion technique avec une perspective globale, car ce n’est pas un sujet purement fiscal, mais économique », conseille M. Jebeyli.
Pourtant, si les revenus des capitaux mobiliers à l’étranger des résidents libanais sont taxés à 10 % (dividendes et intérêts), au Liban, ils ne sont soumis qu’à une taxe de 5 % pour les intérêts et de 10 % pour les dividendes. Un argument qui a déjà été utilisé pour apaiser les inquiétudes concernant l’attractivité des capitaux étrangers, le régime fiscal sur le territoire libanais étant plus avantageux. Surtout, « exonérer les résidents libanais de cet impôt pour leurs comptes à l’étranger romprait le principe d’égalité devant l’impôt : les déposants du Liban serait imposables sur leurs intérêts tandis que les Libanais ayant des capitaux à l’étranger ne paieraient pas d’impôts. Dans ce cas-là, tout le monde va envoyer son argent à l’étranger ! » lance l’avocat fiscaliste Karim Daher à L’Orient-Le Jour. « De plus, avec l’entrée en vigueur de la norme CRS, le Liban va considérablement élargir son réseau de traités de non-double imposition », conclut-il.