Après d’âpres tergiversations, le train de l’échange automatique d’informations fiscales est parti le 30 septembre 2018, clouant sur place les nombreux sceptiques ! Ce fourgon formé de 27 wagons va décharger sa riche cargaison d’informations financières et bancaires relatives aux déposants non-résidents dans autant de destinations – de la France aux îles Guernesey et Jersey – afin d’assurer une meilleure transparence fiscale internationale et une limitation des infractions transfrontalières.
Une véritable aubaine pour les autorités fiscales de chacune de ces destinations signataires de l’Accord multilatéral entre autorités compétentes (MCAA en anglais) dont les dispositions ont été entérinées au Liban par la loi financière dite d’urgence N° 55 du 27/10/2016 et son décret d’application N° 1022 du 7 juillet 2017.
D’aucuns se demanderont toutefois quand est-ce-que ce « rapide » chargé à son tour, lors de chacun de ses arrêts, des informations bancaires et financières sur les résidents libanais, devrait revenir à quai en empruntant la même voie express ? La réponse à cette question nécessite une distinction entre les deux procédures d’échanges pour mieux cerner le problème et faciliter sa compréhension.
Elève appliqué pour les non-résidents
Dans la première situation, celle relative à la compilation, à la collecte et à l’envoi des informations sur les non-résidents, le Liban s’avère être un élève studieux et appliqué qui ne ménage aucun effort pour se conformer aux normes de transparence. D’abord, à travers un vaste chantier de reformes lancé par l’adoption des lois financières dites d’urgence de 2015 et 2016 et le Budget pour 2017. Ce processus de réformes législatives a notamment permis de: développer les procédures de tenue de registres, d’accès aux informations et de détection des fraudeurs; fournir une base légale à l’échange sur demande et automatique des informations financières; contraindre les professionnels et intermédiaires à une obligation de déclaration de soupçon; supprimer les actions au porteur; et règlementer strictement le portage d’actions et les activités de prête-noms.
Ensuite, les autorités fiscales libanaises ne ménagent plus leurs efforts ces derniers temps pour faciliter la mise en œuvre pratique de ces textes afin de contrer toute velléité de circonvenir aux normes et colmater toute brèche ou faille éventuelles. Elles ont notamment clarifié la notion de résidence fiscale en mai dernier et établi fin septembre un mécanisme de définition de « l’ayant droit économique » pour les sociétés et les trusts.
Enfin, s’agissant de la procédure d’échange d’informations fiscales sur demande, instaurée en 2016 et permettant à une centaine de pays de réclamer les informations bancaires de leurs résidants au ministère des Finances, le Conseil d’Etat a pour sa part levé toute ambiguïté sur les mécanismes de blocage d’envoi d’informations sur demande en considérant que, dans la mesure où la demande de renseignements est conforme aux dispositions de la Convention sur l’assistance administrative mutuelle en matière d’impôts (MAC) et se base sur les critères définis par cette dernière, l’information peut être communiquée sans chercher à vérifier les données pratiques du critère qui fait prévaloir une résidence fiscale sur l’autre (Arrêt du 11/12/2017).
Réticences sur la réciprocité
Par contre, sur le plan de la réception d’informations par le Liban sur les avoirs et dépôts de ses résidents à l’étranger, les autorités locales trainent les pieds et ne semblent pas être très pressées ! Un plan d’action leur a pourtant été imparti pour aboutir au plus tôt à la mise en place d’un mécanisme de garantie et de protection de la confidentialité des informations à recevoir ainsi qu’un système de cryptage adapté et homogène d’échange électronique qui habiliteraient les 27 pays partenaires, à ce jour, à « livrer leurs secrets ».
Néanmoins certains responsables tentent toujours de retarder l’échéance voir de changer le régime d’imposition en prônant la territorialité absolue comme critère. Il est même tentant de se demander si des législations récentes visant à améliorer l’attractivité économique du pays, ne recéleraient pas aussi d’autres objectifs inavoués. Exemple avec la loi sur les sociétés « offshores » du 10 octobre dernier, qui permet la création/détention de celle-ci par un associé unique, personne physique ou morale, doté de l’ensemble des prérogatives, ne serait-elle pas destinée en réalité à cacher l’identité des véritables ayants droits économiques et à maquiller des dispositifs ingénieux d’optimisation fiscale ?
Pourtant l’administration fiscale a publié récemment de nouveaux formulaires de déclaration propres aux revenus de capitaux mobiliers et en a même réservé un aux revenus d’actions et d’obligations étrangères. Mais elle a limité les cases d’impositions aux seuls intérêts pour les obligations et distributions pour les actions laissant planer l’ambiguïté et le doute pour les plus-values de cession (« Capital Gains ») et les intérêts des comptes de dépôts.
Prié par requête écrite de l’Aldic de clarifier sa position, le fisc a considéré: d’une part, que les intérêts générés par des dépôts bancaires à l’étranger sont assujettis à l’impôt sur les revenus de capitaux mobiliers au taux normal de 10 % et sujets à déclaration annuelle selon les règles en vigueur; et d’autre part, que les plus-values de cession d’actions de sociétés anonymes étrangères réalisées par les personnes physiques résidentes étaient exonérées de l’impôt et de toute obligation de déclaration – à l’opposé des cessions réalisées par les professionnels (achat et vente d’actions) qui restent, elles, assujetties. L’ambiguïté demeure néanmoins de mise pour les cessions réalisées par les personnes morales…
Or le Liban n’est plus un « îlot » souverain capable de s’opposer à une politique mondiale de lutte contre l’évasion fiscale et le blanchiment des capitaux, en se positionnant comme un centre privilégié de résidence fiscale pour les grands groupes et les personnalités. Le pays des Cèdres est à nouveau sous la menace de se retrouver sur la liste noire des paradis fiscaux de l’OCDE au motif qu’il n’avait entrepris, en un an, aucune démarche de demande d’information financière et fiscale sur ses résidents sur base de la MAC.
De plus, la mise en œuvre de deux nouvelles normes internationales par de nombreux pays – dont certains anciens paradis fiscaux – vient resserrer encore davantage l’étau. C’est le cas de la norme BEPS de l’OCDE, qui vise à faire imposer les profits dans le cadre territorial où l’activité créatrice de ces revenus est exercée et à éviter les transferts à des pays non fiscalisés ou à fiscalité privilégiée par le biais de structures artificielles. Il en va de même pour l’application des règles de communication obligatoire d’informations de l’OCDE (dites MDR) qui ont pour but de transmettre aux administrations fiscales concernées certaines informations sur les montages envisagés afin de démasquer l’identité des bénéficiaires effectifs. Résultat: nombre de résidents libanais ne pourront plus utiliser leurs structures étrangères « fictives » offshore sans avoir à choisir entre leur imposition effective au Liban (lieu de direction) et celle dans le pays où le revenu est réellement généré.
Alors face au déni de ces patients récalcitrants qui demandent encore: « c’est grave docteur ?», on serait tenté de répondre cyniquement: « Non tout va bien, on vous a tout juste amputé des deux pieds, mais ils vous restent heureusement encore vos bras pour ramper… ».
Karim Daher[1]
[1] Avocat Fiscaliste et Enseignant Universitaire. Auteur du Livre “Les Impôts au Liban”